Piliers de la rhétorique 1/3 – C\’est quoi le Logos ?

Dans Rhétorique, Aristote constitue un ouvrage majeur sur l\’art de convaincre, sans doute même l\’un des plus importants.

Il insiste notamment sur l\’idée que la persuasion s\’appuie sur l\’emploi de preuves qui sont de trois types : 

  • Ethos
  • Logos
  • Pathos

Maitriser ces 3 types de preuve, c\’est s\’assurer de pouvoir toucher n\’importe quel auditoire.

Il est donc essentiel de bien les comprendre et d\’apprendre à les utiliser.

Le Logos, c\’est quoi ?

Le mot Logos vient du grec ancien qui signifie \ »discours\ » et \ »raison\ ».

Il s\’agit de l\’argument qui fait appel à la raison.

En clair, on cherche à convaincre l\’auditoire grâce au fond du discours, à la pertinence de ses arguments et à la qualité des liens logiques qu\’il contient.

Le but du logos est d\’instruire.

Quel est le rôle du raisonnement

Puisqu\’il fait appel à la raison, le raisonnement va être au coeur du logos.

Le raisonnement est la façon dont l\’on va utiliser des faits avérés pour qu\’ils appuient la thèse que l\’on défend.

La force de preuve des éléments que l\’on va utiliser en premier lieux (les \ »prémices\ ») va parciper à la force de l\’argumentation.

Plus ceuxi-ci seront reconnus et incontestables, plus il sera difficile d\’attaquer la conclusion à laquelle ils mèneront.

Mais la puissance de l\’orateur réside à la fois dans le choix de ses preuves et dans sa capacité à allier plusieurs formes de raisonnement pour utiliser ces preuves comme il le souhaite.

L\’utilisation du logos est en fait comparable à un armurier qui construirait une épée. Le matériau qui compose l\’épée est l\’équivalent des preuves tandis que le savoir-faire de l\’armurier est comparable à la maitrise des formes de raisonnement.

Ce sont à la fois la qualité du matériau et le savoir-faire de l\’armurier qui garantiront la puissance de l\’épée. De même, un maitre en raisonnement disposant de preuves puissantes produira les meilleurs arguments. Mais même en l\’absence de preuve suffisante, l\’orateur de qualité est capable de recourir à des subterfuges pour pallier cette insuffisance en maitrisant les formes de raisonnement.

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Affutez votre argumentation : choisissez les bonnes preuves et les bons raisonnements

Comment déployer le logos en rhétorique ?

Pour un discours préparé, le logos s\’active en rédigeant le fond du discours.

Il faut rassembler des connaissances, des expertises, trouver les éléments les plus incontestables et les plus marquants, tout en gardant en tête l\’objectif de la prise de parole.

Une fois cette collecte effectuée on doit organiser ces données pour que leur force soit décuplée. Pour cela, commencez par trier les informations que vous voulez garder.

Puis organisez les pour que l\’ordre, les transitions et le fil du discours constituent un chemin logique dont on ne peut s\’écarter jusqu\’à votre conclusion : l\’objectif de votre prise de parole.

Bien entendu, le logos ne doit pas être le seul pilier à être activé et un bon discours fera appel aux 3. C\’est pourquoi nous reviendrons bientôt sur les 2 autres piliers dans de prochains articles. Pour être sûr de ne pas les rater, vous pouvez vous abonner à notre page Facebook ou nous rejoindre sur Linkedin.

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Mise en pratique

Pour activer un savoir, rien ne vaut la pratique !

Le texte suivant est la plaidoirie prononcée par maître Paul Lombard, avocat de Christian Ranucci, devant la Cour d’Assises des Bouches-du-Rhône le 10 mars 1976.

En lisant ce texte, tâchez d’identifier les arguments qui font appel au logos.

« Mesdames et Messieurs les jurés,

En cet instant où je prends la parole pour Christian Ranucci, j’ai dans cette enceinte de justice face à moi trois adversaires. Vous, Maître Collard, qui avez su avec une belle humanité prêter votre voix aux parents de la petite Maria-Dolorès, vous Monsieur l’avocat général qui avez prononcé l’un des meilleurs réquisitoires que j’aie eu à entendre de toute ma carrière, mais mon plus redoutable adversaire, c’est vous-même, Ranucci ! Vous qui êtes incapable d’inspirer la sympathie aux autres avec vos yeux de poisson mort ! Vous qu’on avait envie de comprendre quand vous êtes entré pour la première fois dans cette salle, mais dont l’attitude a fait qu’ensuite on a eu envie de vous haïr. Un innocent, il crie, il hurle, il se débat, il n’accepte pas le destin. Vous, vous vous êtes montré froid comme un iceberg, impassible, comme étranger à nos débats. Imbécile !

Mais Mesdames et Messieurs les jurés, ne vous fiez pas aux apparences. Juger sur les apparences, c’est se faire le bourreau ! Juger en fonction de l’attitude qu’il a manifestée, ce serait oublier de juger.

N’écoutez pas non plus la rumeur ignoble. N’écoutez pas l’opinion publique qui frappe à la porte de cette salle. Elle est une prostituée qui tire le juge par la manche, il faut la chasser de nos prétoires, car, lorsqu’elle entre par une porte, la justice sort par l’autre. Je n’ai rien à faire de l’opinion publique. Je ne suis pas un signataire de pétitions humanitaires. Je ne suis pas un militant. Je suis un homme. Et en tant que tel, je hais la peine de mort. Je ne serai jamais aux côtés de ceux qui la réclament, de ceux qui la donnent, jamais je ne serai aux côtés du guillotineur.

Et pourtant, par la voix de Monsieur l’avocat général, cette salle vient de renvoyer l’écho de la peine de mort. Comme vous l’a dit mon confrère Jean-François Le Forsonney, nous avons frémi, nous sommes épouvantés par ce qu’on vient de demander. Il s’agit de décider si cet homme de 20 ans doit vivre ou mourir, et nous voici donc face à la vieille ennemie : la peine de mort. Et cela alors que des événements récents nous ont fait perdre la raison. Oui, depuis un mois, depuis l’interpellation à Troyes du meurtrier présumé du petit Philippe Bertrand, notre pays a succombé à l’hystérie collective. Je vous demande de résister à ce vent de folie. Car, si vous accordiez la peine capitale, vous feriez reculer la civilisation de cinquante ans. En donnant la mort à Ranucci, vous rouvririez les portes de la barbarie, vous grossiriez le tombereau sanglant des erreurs judiciaires, vous deviendriez bourreau, vous céderiez à la colère, à la peur, à la panique. Mais je le sais : vous ne ferez pas cela !

Non, vous ne ferez pas cela, car Christian Ranucci est innocent du crime dont il est accusé. Je plaide non coupable. Oui, je le sais – et Monsieur l’avocat général vous l’a longuement rappelé – Christian Ranucci a d’abord avoué. Et bien moi, je dis qu’au moment où il a avoué, cet homme n’était pas en possession de toutes ses facultés. Qu’on me comprenne bien : je plaide l’irresponsabilité, non pas pour le crime que Ranucci n’a pas commis, mais pour expliquer les aveux qu’il a passés. Que l’on me comprenne bien encore, je ne suis pas ici en train de dénoncer le travail des enquêteurs. Je suis contre ceux qui attaquent systématiquement la police : elle fait un métier difficile. Aussi ne dirai-je rien des méthodes employées. Mais j’affirme que les aveux de Ranucci s’expliquent par son état psychique et qu’ils sont en contradiction avec les faits. Peut-on simplement imaginer le traumatisme qu’a vécu ce garçon ?

Le choc absolu qu’il a subi à l’instant où il se voit accusé du pire des crimes ? L’abîme dans lequel il est plongé ? Son désarroi profond ? Sa totale solitude ? Alors, oui ce garçon fragile a craqué. Oui, ses nerfs ont lâché. Et oui, à cet instant devenu irresponsable, il a fini par reconnaître tout ce qu’on a voulu lui faire dire. Il n’est pas le seul à avoir avoué un crime qu’il n’a pas commis. Sachez, Mesdames et Messieurs les jurés que les précédents sont nombreux, hélas. C’est Jean-Marie Deveaux qui avoue à Lyon le meurtre d’une fillette et que l’on condamne avant de le réhabiliter. C’est plus près de nous encore, le jeune Jean-Pierre qui s’accuse du crime de Bruay-en-Artois et dont on découvre ensuite qu’il a affabulé. Dans les deux cas, il s’agit de jeunes gens, comme Ranucci, abandonnés, seuls, incapables de résister à la pression psychologique exercée par des policiers expérimentés et convaincus de leur culpabilité. Mais l’aveu n’est pas une preuve en droit français. L’aveu, c’est au contraire le fil d’Ariane de l’erreur judiciaire, c’est sa fusée porteuse ! Alors non, Monsieur l’avocat général, je ne peux pas vous laisser dire qu’il est impossible de plaider tout à la fois l’innocence et la folie. Si, on le peut. Si, il est possible d’être innocent des faits que l’on vous reproche puis de devenir fou à l’instant où, dans un état de trouble profond, on avoue les avoir commis. L’accusation s’appuie sur le rapport des experts psychiatres. Nous, avocats, nous savons la valeur toute relative qu’il faut accorder à ces expertises. Et rarement je n’ai vu de rapport aussi partial. Je vous le dis ce rapport travestit la personnalité de Christian Ranucci. Ces proches le décrivent, eux, comme un garçon calme, correct, doux et affectueux envers les enfants que gardait sa mère. Que l’on nous explique alors comment il aurait pu soudain se transformer en gibier d’échafaud !

Pour Christian Ranucci, je réclame donc l’acquittement pur et simple parce que ses aveux ont été acquis de façon équivoque, parce que les expertises ont été faites de façon partisane, mais d’abord parce que le dossier est fragile et comporte d’immenses lacunes.

Que penser de la déposition du couple Aubert ? Ce sont les témoins clefs de l’accusation. Et pourtant ce couple d’automobilistes n’a cessé de varier au fil de ses déclarations. Leur témoignage est tout simplement ahurissant et farci d’incohérences et d’impossibilités. Les Aubert évoquent en premier lieu un jeune homme avec un paquet entre les bras. Puis, au fur et à mesure de leurs interrogatoires, ils fluctuent, pour finalement décrire une petite fille en short blanc qui pose des questions à celui qui l’entraîne. Comment un tel témoignage peut-t-il être retenu ? Je m’étonne également que la police ait recherché pendant deux heures le couteau sur les lieux du crime avec un détecteur magnétique. Pourquoi le commissaire Alessandra n’a-t-il pas conduit Ranucci sur place alors qu’il venait de passer des aveux, comme l’aurait fait n’importe quel autre policier dans une situation identique ? On aurait bien vu alors si Ranucci était capable de désigner l’endroit où se trouvait l’arme du crime. Je m’étonne aussi de l’incohérence chronologique qui apparait dans les procès-verbaux de mise sous scellé. Je m’étonne encore que l’accusation puisse accorder le moindre crédit à la présence de sang sur le pantalon bleu que portait Ranucci puisque le sang dont il est souillé peut fort bien provenir d’une plaie à sa jambe comme l’atteste un certificat médical. Je m’étonne encore du comportement qu’a eu Christian Ranucci. S’il avait été coupable, pensez-vous qu’il soit rentré paisiblement à Nice sans même faire disparaître de son coffre le pantalon et les lanières de cuir que l’on brandit aujourd’hui pour l’accabler ? Enfin, il y a ce mystérieux homme au pull-over rouge. Trois témoins sont venus attester de son existence. L’un d’entre eux explique qu’il l’a aperçu en train d’aborder des enfants. Cet homme est décrit comme conduisant une Simca 1100, c’est-à-dire la marque de la voiture mentionnée par les témoins de l’enlèvement. Un homme donc, vêtu d’un pull-over, en tout point semblable à celui que Mesdames et Messieurs les jurés ont sous les yeux. Vous le voyez là, posé sur la table des pièces à conviction. Ce pullover rouge a été retrouvé près des lieux du crime. Personne ne peut expliquer sa présence. Alors, oui je m’étonne et je m’indigne : allez-vous oser condamner à mort sur un dossier pareil ?

Allez-vous oser condamner sur la foi d’un dossier de plâtre ? Je ne suis pas du côté des assassins, mais je ne suis pas non plus du côté de l’erreur judiciaire. Acquittez Christian Ranucci ! Le sang se lave avec les larmes, non avec le sang. Tant que la peine de mort existera, la nuit régnera dans la Cour d’assises. »

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